Vitalie Taittinger : « Il faut cueillir l'art là où il est pour l'offrir à tous »

La jeune quarantenaire lance le fonds de dotation Philanthropic ArsNova, détaché de la maison de champagne qu'elle préside, pour soutenir les arts, la musique, la gastronomie et démocratiser l'accès à la culture.

« J'ai la chance d'avoir grandi dans un univers où l'art était omniprésent. J'y ai eu accès de manière très décomplexée, très simple, se souvient Vitalie Taittinger. On ne m'a jamais dit dans ma famille : 'regarde, c'est un grand artiste !' avec cette sorte de révérence qui peut intimider. C'est cette approche que nous voulons offrir avec ArsNova, ce nouveau fonds philanthropique indépendant de la maison de champagne. » Sa grand-mère paternelle, Corinne Deville, épouse de Jean Taittinger (homme d'affaires et homme politique, maire de Reims, où il développa la culture, ainsi que garde des Sceaux en 1973 et 1974), fut animée toute sa vie par une « pulsion d'art ». Peintre dans le courant de l'art brut, elle ne voulut jamais exposer ses toiles. Une de ses oeuvres a été reproduite dans un vitrail réalisé par l'Atelier Simon-Marq, la plus ancienne entreprise de vitraux au monde, acquise par son fils Pierre-Emmanuel.

Ce dernier a été l'artisan du retour dans le giron familial de la maison Taittinger fondée par son grand-père Pierre Taittinger et a oeuvré à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco de la mission Coteaux, Maisons et Caves de Champagne, avant de la présider pendant sept ans. Claire, son épouse, dirige le festival de musique classique Les Flâneries Musicales de Reims. Vitalie, leur fille, préside la maison Taittinger depuis 2020. Par ailleurs diplômée de l'école de dessin Emile-Cohl, à Lyon, elle a consacré un ouvrage au peintre surréaliste Alfred Courmes, a piloté Platform, l'association des vingt-deux fonds régionaux d'art contemporain (Frac) de France, de 2018 à 2022, et préside le Frac de Champagne-Ardenne depuis 2017.

De son enfance libre, Vitalie se souvient « qu'il n'y avait aucune limite pourvu que nous laissions parler notre créativité ». La passion de l'art est ainsi dans l'ADN familial tout autant que les vertus de l'engagement et de l'entreprenariat, d'où le soutien actif de la famille et de la maison Taittinger à la culture. De la création, en 1967, du prix culinaire international Pierre-Taittinger au lancement de la Taittinger Collection, en 1983 (de grandes signatures de l'art contemporain signent une étiquette pour cette cuvée millésimée), en passant par le mécénat, depuis 2015, de la programmation lyrique et chorégraphique de l'Opéra de Paris. Il faudrait encore citer, à Reims, la restauration de la Demeure des Comtes de Champagne dont les origines remontent au Moyen Âge.

Structurer la générosité

Pour Vitalie, « si les choses doivent s'inscrire dans une histoire, être l'objet d'une intention ferme, d'une inspiration », elles doivent aussi être le plus efficaces possible. D'où le lancement du nouveau fonds de dotation Philanthropic ArsNova. « Il ne suffit pas d'être généreux pour être pertinent. Il faut structurer cette générosité, lui dédier des ressources non seulement financières mais humaines. J'ai réalisé que l'entreprise n'était pas le meilleur véhicule et qu'il en fallait un autre qui nous permette de remplir notre mission plus largement, plus librement. Nous avons peaufiné notre projet pendant deux ans. Toute l'action philanthropique de Taittinger, et son budget annuel d'un million d'euros, sera donc transférée à Philanthropic ArsNova au 1er janvier 2024. Nous portons une action d'intérêt général et nous la voulons pérenne. Avec cette nouvelle structure, nous sommes libres de nos objectifs, de leur réalisation, d'aller chercher des partenaires qui ont les mêmes envies pour enrichir l'aventure et nous permettre de partager beaucoup plus largement avec un public que nous ne touchions pas jusqu'à présent. »

Vitalie Taittinger a choisi pour diriger Philanthropic ArsNova Marie Rouvillois, une spécialiste des levées de fonds, des portages de projets (auprès de Yann Arthus-Bertrand, de la Fondation de France, de l'Institut Pasteur…). Elles se sont rencontrées à la faveur du tournage du film Champagne ! de Nicolas Vanier, en 2021. « Nous voulons permettre l'accès au patrimoine, transmettre à travers des ateliers ou des programmes de formation, favoriser la création avec des résidences d'artistes. Nous professionnalisons notre action philanthropique, nous évaluerons son impact. Même si tout n'est pas mesurable : la joie n'a pas de prix. »

Pour Vitalie, « un projet a toutes les chances de réussir s'il réunit des partenaires qui s'entendent sur une vision et qui ont la même envie. Et moi, je ne conçois pas d'être seule autour de la table. » D'où le choix du nom du fonds : « Le médiéviste Patrick Demouy nous l'a soufflé en nous parlant d'Ars nova, un courant musical né à Reims au XIVe siècle avec Guillaume de Machaut, qui a contribué au développement de la musique polyphonique. Nous sommes pluridisciplinaires, nous parlerons à plusieurs voix, c'était une évidence. »

Epanouissement, sincérité, inspiration

Philanthropic ArsNova travaillera sur trois axes. D'abord, la gastronomie. « Notre prix culinaire créé il y a cinquante-six ans assemble une famille de chefs, transmet un héritage et participe à régénérer la création contemporaine. Nous voulons aller plus loin : éduquer les jeunes sur le bien manger, proposer des ateliers dans les écoles, créer des potagers, un tour de France avec un camion cuisine… » Deuxième axe : l'art. Le siège de Philanthropic ArsNova au 44, boulevard Lundy, à Reims (maison qui appartint jadis au collectionneur et mécène Georges Charbonneaux), accueillera des expositions. « Nous révélerons des collections privées de manière intimiste, dans les chambres, les salles de bains… Sans les codes muséaux qui peuvent rebuter ou intimider. Nous permettrons aussi aux familles d'artistes qui possèdent des oeuvres mais ne les montrent pas, faute de lieu dédié, de les présenter. Il faut cueillir l'art là où il est pour l'offrir à tous. » Troisième axe : la musique, et notamment l'opéra, avec l'idée d'un « laboratoire », en relation avec les opéras de Paris et en régions. « Il faut cesser de penser que l'opéra est inaccessible. Nous voulons aider, peut-être même susciter, des vocations. »

La fondatrice tient surtout à s'adresser à tous : « Les publics 'empêchés' ont besoin de rêver, on va aller chercher tous ceux qui n'osent pas, parce qu'ils ne savent pas ou qu'ils n'ont pas les moyens, c'est une dimension fondamentale de Philanthropic ArsNova. On ne va pas tout réinventer, il y a des choses qui se font sur tout le territoire et qui méritent d'être poussées par des financements. Nous avons des réseaux, des moyens, un patrimoine, nous pouvons être un levier énorme. L'école de musique associative Capriciozo, à Reims, embarque par exemple des publics - enfants, adultes, personnes âgées, handicapés - qui, sans elle, n'auraient pas accès à la musique et pour qui, parfois, elle est une révélation. Quand elle est obligée de lancer des cagnottes en ligne pour financer des bourses d'études, c'est notre devoir d'intervenir. »

Vitalie Taittinger résume les valeurs d'ArsNova en trois mots : « épanouissement, sincérité, inspiration ». « S'épanouir, c'est devenir soi-même à travers le plaisir ; pour moi, la culture est synonyme de joie et doit être abordée simplement. Sincérité, c'est faire les choses qui sont dans nos moyens avec ce que me dicte mon coeur, avec honnêteté. Inspiration, parce que notre objectif est de déclencher des envies, en étant dirigés par l'excellence. C'est l'importance du mentorat, du parrainage, pour tirer vers le haut, sans se fixer de limite. Le beau, ça aide à vivre. »

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Vitalie et Pierre-Emmanuel Taittinger lancent le fonds de dotation Philanthropic ArsNova

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